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La responsabilité comme pilier de la stratégie : retours d'entreprises du secteur alimentaire

Cet article est une retranscription adaptée de notre webinaire du jeudi 13 novembre. Nous avons invité trois entreprises du secteur alimentaire qui, chacune à leur manière, mettent la responsabilité au coeur de leur stratégie :



L'interview est menée par Pierre-Alix Lloret-Bavai, co-fondateur de 2tonnes.


Pierre-Alix Lloret-Bavai : Joséphine, avec Omie vous faites le pari de proposer une alimentation régénérative, avec un catalogue très large de produits et de fournisseurs. Comment avez-vous fait ?


Joséphine Bournonville : Notre question de départ était "comment créer une entreprise agroalimentaire au XXIᵉ siècle en sachant tout ce que l’on sait aujourd’hui des problèmes liés à l’agriculture et à l’alimentation ?


Les enjeux sont énormes : près d’un tiers des émissions de carbone sont liées à l’alimentation. Mais au-delà du climat, il y a aussi l’effondrement de la biodiversité. Et surtout, la question de la santé des sols un enjeu dont on parle encore trop peu.


Si rien ne change d’ici 2050, 20 à 30 % des sols mondiaux seront dégradés. Cela pose un vrai problème pour notre capacité à nous nourrir demain, pour continuer à produire certains ingrédients de base. 


Il y a évidemment un sujet autour de la végétalisation de l’assiette mais il y a aussi un autre sujet, très lié : changer les pratiques agricoles.


Aujourd’hui, il existe des façons de produire à grande échelle qui, au lieu d’épuiser les sols, permettent de les régénérer.


Notre point de départ, c’était de créer une marque qui réconcilie :


  • les attentes des consommateurs (bien manger, au bon prix, avec de bons produits),

  • et l’engagement des agriculteurs dans la transition de leurs pratiques.


Nous faisons cela en promouvant l’agriculture régénérative, qui est à la fois une philosophie et un ensemble de pratiques concrètes.


L’un des aspects essentiels liés à la santé des sols, c’est le labour. On laboure les sols depuis des millénaires, mais en réalité le labour détruit une grande partie de la vie du sol, empêche les micro-organismes de faire leur travail, et oblige ensuite à compenser avec des intrants chimiques. C’est ce qui s’est passé à partir des années 1950 : l’essor des engrais et pesticides comme réponse à l’appauvrissement des sols, alors même que ces sols savent naturellement se régénérer si on les laisse faire.


L’un des piliers de l’agriculture régénérative est donc de remettre ces fonctions naturelles au centre. Nous avons choisi de travailler avec des producteurs qui mettent en place ces nouvelles pratiques. Nous intégrons ensuite leurs ingrédients dans nos produits et nous concevons des recettes attractives pour que les consommateurs aient envie de les acheter : c’est une opportunité énorme pour favoriser cette transition.


Le deuxième pilier, c’est la transparence sur la chaîne de valeur. Pour nous, c’est clé pour redonner confiance aux consommateurs et leur permettre de comprendre la valeur réelle derrière le prix.


Aujourd’hui, cela représente une gamme complète de produits et plus de 200 producteurs que nous avons accompagnés sur des sujets très concrets : réduire le labour, se passer d’intrants chimiques… Tous nos produits sont bio. Avec chaque producteur, nous définissons des feuilles de route de progrès, parfois sur plusieurs années, car ces transitions prennent du temps.


Notre boussole, c’est aussi la notation environnementale Eco-Score : nous nous interdisons de sortir des produits en dessous de la note C. L’outil prend en compte les enjeux climat, biodiversité, mais aussi la rémunération des agriculteurs. C'est un point essentiel pour nous, car il n’y aura pas de transition durable si tous les maillons de la chaîne ne peuvent pas vivre correctement de leur travail.


omie
Page d'accueil du site d'OMIE

Pierre-Alix : Nicolas, vous partez de produits que les gens aiment — la charcuterie — et vous essayez de proposer la même chose, voire mieux, mais avec des produits qui ont beaucoup moins d’impact dès le départ. Pour beaucoup de gens, c’est un défi technique immense : comment on fait pour y arriver ?


Nicolas Schweitzer : Oui, effectivement. Notre mission chez La Vie, c’est d’aider tous ceux qui veulent réduire leur consommation de viande à le faire avec le moins de difficultés possible. Donc en proposant des produits gourmands, mais 100 % végétaux.


Aujourd’hui, on propose exclusivement des produits de charcuterie : on remplace le jambon, les lardons, le bacon, etc., avec des produits faits à base de légumineuses (pois ou soja) tout en essayant de retrouver le plaisir et la gourmandise des produits carnés.


C’est un énorme défi technique : chaque produit, c’est deux à trois ans de R&D minimum pour trouver une recette qui fonctionne, avec le moins d’ingrédients possible, uniquement des ingrédients “verts” sur Yuka, et avec trois fois moins de CO₂ que l’équivalent animal. On se met donc beaucoup de contraintes.


On essaye aussi d’être systématiquement meilleurs que la viande d’un point de vue macronutritionnel : autant ou plus de protéines, autant ou plus de fibres, autant ou moins de sel, autant ou moins de graisses saturées. C’est globalement vrai sur tous nos produits... il y a quelques exceptions, mais on ne peut pas être parfait !


Nous avons 14 personnes en R&D, en comptant l’équipe innovation. Elles travaillent à améliorer les recettes et, par exemple, à retrouver le gras. Car un des points de départ, c’était le gras : on trouvait que les alternatives végétales à base de légumineuses étaient souvent un peu sèches. Et Vincent, mon associé, a un doctorat et deux post-doc… sur le gras !


Donc ça a été le point de départ. Et c’est vrai que, typiquement, dans notre bacon végétal ou dans nos lardons végétaux, il y a une véritable matrice de gras : on voit sur les photos les couches de gras et de maigre, et ce sont réellement des couches de “gras” et de “maigre” végétaux.


Pierre-Alix : Il existe une autre façon d’être responsable : réutiliser un appareil de production existant, qu’il soit industriel ou manufacturier, pour créer de nouveaux produits, différents et plus durables.


Yannick, je serais très curieux que tu nous racontes comment, vous qui êtes historiquement spécialisés dans les produits de la mer, vous êtes parvenus chez la belle-iloise à développer aujourd’hui des produits végétaux… et à les mettre en conserve.


Yannick Le Breton : Effectivement, l’histoire de La belle-iloise et de son site industriel à Quiberon, c’est celle d’un conserveur de poisson.


Et lorsque nous avons voulu nous végétaliser, tout en restant conserveur, il s’agissait d’intégrer de nouvelles matières premières, de nouvelles textures, de nouveaux goûts, mais en utilisant l’outil industriel que nous avons déjà.


La première étape, c’est donc du temps en laboratoire pour les équipes R&D. Quand Nicolas parlait de deux ou trois ans, je ne suis pas étonné : il faut prendre le temps de trouver la bonne formule au laboratoire. Ensuite, sur les process de fabrication, il faut être capable de réaliser les bons dosages, les bons mélanges.


Nous avons l’habitude de dire que nous sommes des conserveurs, mais avant tout des cuisiniers. Ce savoir-faire, développé depuis des décennies, nous permet d’aller plus loin dans l’élaboration des produits et d’aller vers une offre totalement végétale.


Nous avons aussi une contrainte technique propre à notre métier : tous nos produits passent par une stérilisation. C’est un process qui peut avoir un impact fort sur le goût et sur la tenue du produit. Il faut donc trouver les bons barèmes de stérilisation, et là encore, cela demande du temps de la part des équipes.


Mais ce qui nous aide beaucoup, c’est justement ce savoir-faire historique, acquis et maîtrisé depuis des dizaines d’années, et que nous sommes capables de faire évoluer aujourd’hui.


Pierre-Alix : Si la décarbonation massive est techniquement et opérationnellement possible, comment peut-elle aussi fonctionner économiquement selon vos réalités respectives — et, dans ton cas Yannick, en quoi une nouvelle gamme décarbonée répond-elle à un enjeu de viabilité à long terme et d’accès aux ressources ?


Yannick : Là, on est pleinement dans un sujet d’adaptation. 


Si on regarde la situation à l’échelle macro, il y a une recommandation scientifique (notamment du CIEM) de réduire de 70 % les prélèvements sur certaines ressources. Cela crée des tensions très fortes. Et on se retrouve face à des sources d’approvisionnement sur lesquelles on n’est plus du tout certains de pouvoir compter. Donc, de pouvoir travailler.


Cela nous oblige à développer de la résilience et à travailler différemment :


  • d’un côté, préserver la ressource en étant extrêmement précautionneux sur les techniques de pêche et sur ce que l’on prélève ;

  • de l’autre, en nous végétalisant, aller chercher de nouveaux business et assurer la pérennité de l’entreprise.


Sur la question “est-ce que ça marche ?”, nos produits végétaux sont très récents, donc nous n’avons pas encore beaucoup de recul. Mais ce que l’on observe déjà, c’est un très bon accueil.


Les consommateurs nous disent qu’on retrouve “la patte” de La belle-iloise, et c’est très encourageant pour nous. Cela montre que nous sommes capables de proposer une nouvelle offre qui répond aux attentes, et donc, oui, qui devrait permettre d’assurer le business, la continuité et la pérennité de l’entreprise.


Produits végétaux de la belle-iloise
Produits végétaux de la belle-iloise

Pierre-Alix : Quand l’innovation n’est pas tant un levier de croissance qu’une condition pour continuer à exercer son métier, comment un choix aussi exigeant que le régénératif, plus ambitieux que le bio, peut-il rester économiquement viable, en termes de fournisseurs, de clients et de modèle économique ?


Joséphine : Nous n’avons pas de problème d’approvisionnement. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a même une certaine résilience dans ces chaînes de valeur. Un des enjeux, aujourd’hui, c’est l’accès à la matière première dans un monde où les aléas climatiques peuvent rendre certaines ressources indisponibles.


Je peux donner deux exemples très concrets. Cette année, il y a eu une énorme tension mondiale sur les fruits secs, en raison de conditions climatiques très mauvaises dans les pays producteurs.


Beaucoup d’entreprises se sont retrouvées en rupture, ou avec des hausses de prix très importantes. Nous aussi, nous avons eu quelques hausses de prix, mais nos partenaires, ceux avec qui nous avons construit des filières de long terme, avec des contrats tripartites (producteurs, transformateurs, distributeurs) sur plusieurs années ont pu sécuriser leurs volumes et continuer à nous fournir. Cette politique de long terme les rend prioritaires lorsqu’il y a des tensions.


On a eu la même situation l’an dernier sur la tomate : une forte tension sur la production, une baisse de près de 50 %. Malgré cela, nous avons pu conserver notre approvisionnement en tomates françaises, justement grâce à ces engagements et à cette construction de filières durables.


Cela montre que la réussite, c’est aussi cette capacité à être résilient face aux risques climatiques, qui pèsent très concrètement dès aujourd’hui sur les approvisionnements.

Ensuite, il y a le sujet du premium. Ce que l’on observe aujourd’hui, c’est que le consommateur n’est pas forcément prêt à payer un premium pour du “bio plus bio”, du régénératif. Donc il faut travailler avec cette contrainte. 


Le consommateur arbitre : il va accepter un premium sur certains produits, mais pas sur tout son panier. Il faut donc se positionner précisément là où il est prêt à mettre un peu plus, parce qu’il comprend l’impact derrière, mais surtout, et c’est souvent le critère principal, parce que le produit est meilleur.


C’est pour cela que nous travaillons énormément sur le goût. C’est le goût qui déclenche l’achat, avant tout.


Pierre-Alix : Dans un contexte où le XXIᵉ siècle s’annonce comme un siècle de pénurie, la sécurisation de relations durables avec les fournisseurs devient un avantage stratégique clé ; dans ce cadre, est-ce qu’un engagement fort et une image très engagée, comme la vôtre Nicolas, permettent aussi de faire réellement fonctionner le modèle sur le plan business et du chiffre d’affaires ?


Nicolas : Oui. Alors, on est encore petits, relativement à toutes les marques alimentaires !


Mais globalement, ça fait quatre ans qu’on existe, et la croissance est constante. On a un graphique avec notre chiffre d’affaires trimestriel : on n’a jamais eu un seul trimestre de décroissance. Donc, pour l’instant, ça se passe bien. Après, c’est un modèle start-up : on a eu beaucoup de financements pour essayer de construire une boîte capable de passer à l’échelle.


Tant qu’on n’y est pas, on n’est pas totalement sortis du bois. Cette année, par exemple, on perd 7 millions d’euros. Mais on a théoriquement assez de financement pour aller jusqu’à la rentabilité maintenant, donc c’est plutôt une bonne nouvelle. Il faut simplement continuer à atteindre cette croissance pour que, d’ici 2027, on soit complètement sortis du bois.


Je voulais aussi rebondir sur la partie approvisionnement, parce que c’est assez parlant. On a eu un gros dilemme récemment. On a une nouvelle gamme de produits qu’on veut lancer en avril, et on a eu beaucoup de mal à trouver des fournisseurs.


À la fin, on avait le choix entre deux options :


  • un fournisseur en République tchèque, très abordable, qui nous permettait de faire les produits en bio

  • ou un producteur en France, en Bretagne, avec du soja français.


Franchement, le choix n’était pas évident. Finalement, on a choisi le producteur français.


D’abord parce que c’est aussi une histoire humaine : c’est une toute petite boîte qui était au bord du dépôt de bilan. Ce partenariat permet quasiment de doubler leur volume, donc c’est une très belle histoire. Mais aussi parce qu’en termes de résilience et de travail, c’est super de pouvoir collaborer avec des gens qui sont à deux heures de train, et de garder 95 % de notre portefeuille fabriqué en France.


Évidemment, ça implique des arbitrages difficiles. Typiquement sur le prix : oui, bien sûr, j’aurais préféré être en bio. Mais si derrière on dépasse les 4 € en rayon, il n’y a plus personne pour nous acheter.


Bacon LA VIE™
Bacon LA VIE

Pierre-Alix : Vos produits s’adressent-ils uniquement à des consommateurs très engagés (écolos, végans, etc.), ou touchez-vous en réalité un public beaucoup plus large et diversifié ?


Nicolas : Les consommateurs sont, pour le coup, très variés. On a du mal à sortir des statistiques parfaitement fiables, parce que selon les études qu’on regarde, les résultats varient beaucoup.


Mais on va évidemment des végans et végétariens, jusqu’à une proportion assez importante de flexitariens, qui cherchent à réduire leur consommation de viande. Il y a aussi ce qu’on appelle des “flexi-curieux”, des gens qui se disent simplement : "pourquoi pas, j’essaie".


Et puis, on observe aussi une clientèle musulmane, ce qui n’était pas du tout attendu au départ. C’est une petite fraction, mais on a de plus en plus de témoignages de personnes qui nous disent : je suis en colocation avec des musulmans, c’est génial parce qu’on peut faire des barbecues ensemble.


Joséphine : Chez nous aussi, les profils sont assez variés.


La marque est distribuée uniquement en réseau bio, donc ce sont déjà des consommateurs plutôt sensibles à la consommation biologique. Et il faut savoir que les gens qui consomment bio le font souvent avant tout pour des raisons de santé. Ce sont des personnes qui font attention à ce qu’elles mangent.


On communique aussi beaucoup, notamment avec notre nouvelle marque, Supernature, qui nous a rejoints en juin dernier, sur la non-ultra-transformation : peu d’ingrédients, pas d’ingrédients ultra-transformés, uniquement des ingrédients sains. Ça attire des consommateurs qui s’intéressent à leur santé et qui commencent à être de plus en plus sensibilisés aux effets négatifs de l’ultra-transformation.


Yannick : De notre côté, c’est peut-être un peu différent, parce que nous sommes producteurs-distributeurs.


Les consommateurs viennent vraiment en boutique pour la marque. Ce que l’on regarde beaucoup, c’est l’achat et surtout le réachat.


Les profils sont relativement variés, mais ce sont des gens qui ont fait l’effort de pousser la porte de nos boutiques. Et surtout, ils reviennent pour une raison simple : c’est bon.

Le point d’entrée, c’est vraiment le goût. Si le produit est bon, il est racheté.


Pierre-Alix : Du point de vue à la fois de dirigeant et d’investisseur, La Vie est-elle un cas isolé, ou observes-tu au contraire d’autres entreprises très engagées qui parviennent, malgré le contexte de backlash écologique, à bien fonctionner économiquement et à faire du chiffre ?


Nicolas : Alors, je suis un petit investisseur, mais je dois avoir une dizaine d’investissements en tout. Et jusqu’à présent, je n’ai investi quasiment que dans des boîtes à impact.


Et très sincèrement, alors même que tout le monde “trash” l’impact en ce moment, j’ai probablement le meilleur rendement de tous les business angels que je connais ! Toutes les boîtes vont super bien, elles se développent, et on a déjà eu des tours de financement secondaires qui permettent des sorties.


Donc ça va complètement à l’encontre du narratif actuel, selon lequel les boîtes à impact seraient forcément sur une trajectoire d’échec parce qu’elles ne seraient pas assez “câblées business”. Alors évidemment, c’est une expérience personnelle, donc ça ne vaut pas une vérité générale, mais ça contredit clairement ce discours.


Si je prends quelques exemples : Leakmited est une entreprise qui fait de la détection de fuites d’eau par satellite sur les canalisations d’eau potable. Ça cartonne, parce qu’en France on perd un peu plus de 30 % de l’eau entre la centrale et le robinet. Dans d’autres pays, c’est encore pire. Leur solution est donc à la fois utile et très demandée.


Hubcycle, eux, font le tour des usines agroalimentaires et demandent : qu’est-ce que vous jetez ? Ils récupèrent ces déchets et les valorisent en arômes et en plein d’autres ingrédients qu’ils arrivent ensuite à revendre à des industriels.


Et enfin Altrove : ils font de la recherche pour inventer de nouveaux matériaux et métaux afin de remplacer les terres rares.


J’ai cité trois exemples, mais c’était surtout pour montrer qu’il y a aujourd’hui énormément de projets à impact qui sont à la fois pertinents, innovants et économiquement très solides.


Pierre-Alix : Quand des entreprises responsables répondent à des besoins très concrets et trouvent leur product-market fit, comment peuvent-elles réellement passer à l’échelle, en embarquant en interne sans tomber dans l’affichage, et en convainquant en externe ?


Et, dans votre cas Yannick, comment expliquer cette transformation à la fois aux clients et aux équipes sans renier l’ADN historique des produits de la mer tout en développant le végétal ?


Yannick : Oui, je vais peut-être commencer par l’interne, parce que c’est effectivement un sujet dont on a beaucoup discuté — et qu’on continue à discuter — avec l’ensemble des équipes, pour embarquer tout le monde sur cette démarche de végétalisation.


Le premier point, ça a été de se clarifier, déjà au niveau de la direction. Se demander : est-ce qu’on devient une activité entièrement végétale, ou est-ce qu’on reste conserveur de poissons ? On a fait le choix d’affirmer clairement que nous restons des conserveurs de poissons, et que nous voulons continuer à l’être. La végétalisation, ce n’est pas un reniement, c’est une manière de ne pas mettre davantage de pression sur une ressource qui est déjà en difficulté.


On reste donc ancrés dans nos valeurs, dans ce que l’on sait faire. On pense qu’on a encore beaucoup de choses à proposer autour de la conserve de poisson, mais à côté de ça, on ouvre aussi sur les produits végétaux. C’est quelque chose de nouveau pour nous, mais qui participe à la pérennité de l’entreprise.


Le fait de clarifier que l’on ne renie pas ce que l’on est depuis des années, et que l’on continue à raconter la même histoire, celle que la marque porte depuis longtemps, a déjà permis de rassurer tout le monde en interne.


Le deuxième point, dont on a parlé tout à l’heure, c’est l’adaptation nécessaire. Quand on regarde la situation macro, on n’a plus la certitude d’avoir un accès durable à la ressource. Ça crée une forme d’urgence : il faut être capables de continuer à proposer des produits. Pour les équipes de production, de distribution, et tous les métiers support, cette diversification sécurise l’avenir et le passage de ce cap.


Et puis, pour les nouveaux talents qui arrivent, il y a aussi un enjeu de marque employeur. Le fait de montrer qu’on est engagé, attentif à ce qui se passe autour de nous, et pas figé dans un modèle, c’est clairement un plus.


Côté consommateurs, il y a évidemment ceux qui viennent historiquement pour la sardine en boîte, parce que c’est une habitude depuis l’enfance. Et d’ailleurs, la famille “sardine” performe toujours très bien. La question, c’est comment on les accompagne. Et en parallèle, on va aussi chercher de nouveaux clients, avec une approche différente.


Je reviens sur le sondage que tu as fait au début : on voit bien que la végétalisation parle de plus en plus en matière d’alimentation. À nous d’amener le bon discours. Ce qu’on veut surtout, c’est continuer à raconter l’histoire de la belle-iloise : des moments à partager, des produits gourmands, du plaisir.


On ne se végétalise pas pour se végétaliser. Autour de la table, il y a déjà des acteurs très forts sur ce sujet, et ce n’est pas notre histoire à l’origine. Il faut donc qu’on apporte quelque chose qui fasse sens pour nous.


On a par exemple lancé des soupes froides à un moment donné : elles sont arrivées un peu hors contexte dans l’offre, et ça n’a pas forcément bien marché. En revanche, quand on propose une mousse ou un tartare aux algues, et qu’on continue à raconter notre histoire de gens de mer, avec un produit bon, dans lequel on reconnaît la marque et ses valeurs, là ça performe.


C’est vraiment une question de continuité. On ne peut pas se permettre une rupture trop forte.


Pierre-Alix : Joséphine, tu l’as évoqué un peu au début, mais avec votre cahier des charges et l’ambition que vous vous êtes fixée, vous avez des dizaines de bénéfices environnementaux et sociaux à mettre en avant : carbone, biodiversité, emploi local, conditions de vie des agriculteurs, etc. Est-ce que vous choisissez de centrer toute votre communication là-dessus pour attirer les consommateurs ?


Joséphine : Ça a été un vrai questionnement pour nous, et un vrai cheminement. On s’est un peu cherchés là-dessus, parce qu’au démarrage, on avait envie de tout dire : tout ce qu’on faisait bien, tout ce qu’on apportait.


Mais en réalité, c’est un message très complexe. Parler de santé des sols, de biodiversité, de rémunération des agriculteurs… c’est beaucoup trop d’informations pour le consommateur. Il n’a ni le temps, ni la charge mentale pour s’emparer de tous ces sujets à la fois.


Donc on a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on peut parler d’un impact sur un produit, mais surtout, on parle beaucoup moins d’impact en général, et beaucoup plus du produit lui-même : de la recette, de pourquoi c’est bon, de pourquoi c’est bon pour la santé. On se rattache davantage à l’intérêt direct du consommateur, plutôt qu’aux grands sujets environnementaux et sociaux, qui intéressent un cœur de cible très engagé, mais qui ne représente pas la majorité.


D’ailleurs, on aurait pu vous montrer l’évolution de nos packagings, c’est assez parlant. Au début, on était très sobres : un packaging blanc, avec un tout petit logo bleu. Ça fonctionnait au lancement, parce qu’on était principalement en ligne, et qu’on pouvait raconter notre histoire ailleurs que sur le produit.


Mais à partir du moment où on a choisi d’aller en magasin, ce packaging très sobre ne fonctionnait plus du tout dans le rayon, à côté des autres produits. On a donc fait un virage assez radical : plus de couleurs, des visuels beaucoup plus gourmands. On a vraiment remis le produit au centre. Et en fait, c’est ça qui fonctionne.


Pierre-Alix : Quand on est personnellement très engagé sur la cause animale, est-ce un choix stratégique assumé de privilégier une communication fun et gourmande plutôt qu’un discours explicitement végé ou écolo — et y a-t-il, selon toi, un manque à gagner ou au contraire un gain d’impact à faire ce choix ?


Nicolas : Je pense qu’en fait, quand on a regardé un peu la concurrence, on trouvait que tout le monde était très, très axé santé. C’était systématiquement des petites feuilles vertes partout, le Nutri-Score, des produits parfois pas assez gourmands.


On n’a pas voulu tomber ni dans la culpabilisation, ni dans le fait de pousser à tout prix l’impact carbone ou la cause animale, parce que malheureusement, on pense que ça ne marche pas très bien.


Donc on est plutôt partis sur une stratégie dont l’objectif est de faire sourire, de faire rire, d’apporter de la joie, de la bonne humeur, de donner envie. C’est pour ça qu’on essaie de faire, même si on n’est pas toujours drôles, et de sortir nos blagues sur les culs de bus, dans les métros, pour donner envie et créer de la discussion aussi !


Et puis, comme on est encore très petits, il faut bien qu’on émerge en termes de notoriété.


Pierre-Alix : Face au backlash écologique et à la politisation croissante du sujet, avez-vous adapté votre communication ou votre marketing ces derniers mois — en changeant la manière dont vous parlez d’écologie — ou au contraire maintenu votre approche ?


Yannick : À notre niveau, non. Notre marque date de 1932, elle s’est installée dans un imaginaire, une histoire. Donc nos produits restent alignés avec ça. Comme disait Nicolas, on essaie d’être un peu plus fun, un peu plus au goût du jour, mais on n’est pas influencés par le backlash écologique dans notre communication produit.


Ce que ça influence davantage, c’est l’entreprise. On est passés société à mission il y a deux ans, et ça nous pousse à intégrer ces prises de conscience dans la gouvernance et dans notre manière de travailler, pour aller plus loin.


Mais pas directement sur les produits : on reste sur le plaisir, la gourmandise, l’envie. C’est ce qui donne envie aux consommateurs de venir.


Et, je pense que chez nous, le changement a démarré avant, et surtout en observant le marché et les consommateurs. Les leviers restent les mêmes, même si l’environnement global change. La vraie évolution, c’est le pouvoir d’achat : on l’a vraiment senti. Moins de pouvoir d’achat, ça veut dire moins de capacité à aller vers des produits plus chers ou mieux-disants.


Nicolas : Non, pas vraiment non plus. L’actualité est tellement sinistre en ce moment qu'on voit que toutes les pubs, même celles qui ne sont pas “à impact”, cherchent à ramener un peu de joie et de bonne humeur.


Et je trouve qu’il n’y a pas tant de marques que ça qui se positionnent politiquement. Nous, on a essayé une fois. On avait une accroche géniale, sur la dernière de couverture de Libération :

“Cochon : le vrai grand remplacement.” Mais ils ont refusé, ça a été censuré. Peut-être qu’un jour on pourra la sortir…


On est là pour rigoler aussi. Si ça bloque certaines personnes… tant pis, c’est la vie. Je pense que c’est mieux d’avoir une communauté de gens qui t’aiment, qui se retrouvent dans tes valeurs, et qui vont te défendre, même dans les rayons, plutôt que de chercher à plaire absolument à tout le monde, et finir par mourir dans l’indifférence générale.


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