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Parler climat et carbone en 2025 : est-ce bien raisonnable ?

Avant-propos 


Cet article résume notre webinaire du jeudi 18 septembre. 4 expertes et experts sont venus échanger sur leurs sujets : 







Introduction

« Climat », « empreinte carbone » : faut-il bannir ces mots pour faire adhérer durablement aux enjeux environnementaux ?


Ces termes ont connu un véritable essor à partir de 2018, devenant les porte-drapeaux des enjeux écologiques.


Et force est de constater qu’ils ont eu un impact : ils ont permis d’ouvrir la porte à ces sujets, de démocratiser un indicateur pertinent et de sensibiliser un large public — y compris au sein même des entreprises.


Mais aujourd’hui, nous semblons avoir atteint un plateau. Le nombre de nouvelles personnes convaincues stagne, et les arguments strictement écologiques ont parfois un effet contre-productif, voire repoussent une partie non négligeable de la population.


Se limiter à parler du climat ne suffit plus à emporter l’adhésion.

Un exemple révélateur : le recul des politiques RSE dans de nombreuses entreprises.


Il est donc temps d’adopter une approche nouvelle et complémentaire. Non pas pour remplacer la précédente, mais pour la prolonger, la renforcer, et surtout permettre des changements de comportements plus profonds et plus durables.


Alors, en 2025, est-il encore raisonnable de parler climat et carbone ?


Parler climat : une stratégie pertinente ?


Audrey Guillon (Nos Gestes Climat) :  Notre défi est de sensibiliser les citoyens et de les mobiliser vers un changement de leurs habitudes pour réduire leur empreinte écologique.


Ce que nous observons, c’est que l’approche par le climat et le carbone est bien pertinente. Depuis février 2021, plus de 2,5 millions de simulations ont été réalisées en ligne avec l’outil, et nous avons cumulé près de 8,7 millions de visiteurs sur le site. Et ces chiffres sont en constante augmentation. 


On constate également que le simulateur permet d’initier un véritable changement : lors d’une étude que nous avons menée en juin dernier, 71 % des utilisateurs déclaraient avoir appris quelque chose, et 45 % affirmaient vouloir passer à l’action.


On peut le dire : parler climat et carbone, ça fonctionne. 


Damien Cahen (Parlons Climat) :


Notre défi est d’augmenter le soutien de la population à la transition écologique et à toutes les mesures qui l’accompagnent.


Concrètement, cela signifie identifier comment parler d’environnement pour engager plus largement. Cela suppose d’étudier les mouvements de l’opinion (faut-il parler du climat, du carbone, de la banquise ?)


Le point de départ de notre travail, c’est un chiffre : 70 % des Français ne considèrent pas la transition écologique comme une préoccupation majeure. Autrement dit, seuls 30 % la placent en tête de leurs priorités — ce sont souvent des personnes déjà engagées. Les 70 % restants constituent un public à conquérir. Il s’agit donc de mieux les comprendre et d’adapter notre manière de communiquer.


Notre objectif est de trouver les bons leviers pour que ces publics, aujourd’hui moins concernés, s’approprient davantage ces enjeux. Cela implique deux choses :


  • Mieux connaître les publics, en particulier ces 70 % ;

  • Éviter de donner l’impression d’une écologie “dominante”, imposée d’en haut.


Malgré tout, l’environnement reste un sujet incontournable. Nos enquêtes montrent que très peu de personnes déclarent ne pas être inquiètes du changement climatique (environ 12 % seulement).


Même parmi les inquiets, on retrouve parfois des climatosceptiques : l’inquiétude traverse toutes les catégories sociales et démographiques. Par ailleurs, une majorité de Français est favorable à certaines politiques écologiques : par exemple, la réduction des pesticides fait consensus.


En résumé, l’écologie est bien présente dans l’opinion publique, mais pas forcément comme une priorité absolue. Il ne s’agit donc pas de “prêcher les convaincus”, mais de trouver d’autres façons de parler du sujet. Trois leviers ressortent particulièrement :


  1. La remise en question de la société de consommation (modes de vie, surconsommation, système économique).

  2. La protection des conditions de vie (santé, bien-être des enfants, survie de l’espèce humaine).

  3. La préservation du patrimoine naturel (paysages, sites proches du quotidien).


Ces arguments fonctionnent car ils répondent à la question “pourquoi” et “pour qui” agir. Pour beaucoup, protéger la banquise semble lointain ; protéger la santé de ses enfants ou son cadre de vie immédiat, en revanche, est beaucoup plus concret.


Mais il y a aussi des freins importants :


  • Plus de la moitié de la population se déclare soit climatosceptique, soit techno-solutionniste, soit convaincue qu’elle fait déjà le maximum et qu’elle ne veut pas sacrifier sa liberté.

  • Un sentiment d’impuissance est très présent : 71 % estiment ne pas avoir les moyens matériels ou pratiques pour agir, et 40 % se sentent insuffisamment informés.

  • Enfin, beaucoup ressentent des injonctions contradictoires entre société de consommation et transition écologique.


À cela s’ajoute un facteur politique majeur : la défiance envers les institutions. D’après le baromètre du Cevipof publié en 2025, trois quarts des Français n’ont pas confiance dans la politique du gouvernement. Cela pose une question clé : comment mettre en œuvre la transition écologique si le portage institutionnel du discours est massivement remis en cause ?


Pierre-Alix Lloret-Bavai (2tonnes) : 


Tout cela fait écho à notre travail. Initialement, nous sommes des pédagogues : nous faisons de la formation sur les sujets de climat et carbone. Alors, on s’est demandé : quel est vraiment notre objectif quand on fait de la pédagogie écologique ?


Les freins que vous avez identifiés, nous les avons aussi retrouvés, mais traduits en termes psychologiques. Ça ne fonctionnera pas si les personnes : 


  • ne sont pas outillés,

  • ne croient pas individuellement et collectivement que l’on peut y arriver,

  • n’ont pas confiance dans la possibilité de réussite.


Notre rôle est de changer le rapport psychologique des personnes formées au sujet écologique. On a identifié quatre éléments essentiels pour passer à l’action, que l’on appelle chez nous le NPPS (un modèle élaboré avec Laura, la psychologue de l’équipe) :


NPPS, 2tonnes

Notre travail pédagogique est donc câblé pour générer cet effet-là chez les participants.

C’est pour cette raison que nous avons choisi le climat comme moyen pédagogique, et non comme une fin en soi. Dans la simulation de l’atelier 2tonnes, l’indicateur suivi est l’empreinte carbone : c’est pertinent, car c’est un outil clair, reconnu, et qui permet de concrétiser les choses.


Le climat est un bon angle parce que :


  • il repose sur un consensus scientifique solide, ce qui inspire confiance ;

  • c’est un sujet quantifié : un seul indicateur (le carbone), simple et complet, à la différence de la biodiversité par exemple ;

  • il est tangible et mesurable : on peut montrer que telle action fait baisser concrètement les émissions ;

  • il est médiatisé, avec des conséquences visibles et centrales dans le débat public.


Depuis 2023, nous avons d’ailleurs intégré la théorie du donut de Kate Raworth, afin de relier le point de départ “climat” à d’autres enjeux, écologiques mais aussi sociaux.


Et surtout, nous avons voulu savoir si cela marchait. Avec notre psychologue, Laura, nous avons mis en place un protocole de mesure d’impact. Les résultats montrent que :


  • après l’atelier, les participants ont plus confiance en l’avenir ;

  • ils prennent conscience de l’importance collective du sujet et de la nécessité d’une action de l’État ;

  • ils développent un sentiment d’auto-efficacité : l’idée que leurs actions personnelles comptent vraiment.


Concrètement, cela se traduit par des changements variés : adoption de nouveaux éco-gestes, mais aussi transformations plus profondes (déménagement, changement de voiture, etc.).


Enfin, il y a un impact quantitatif fort : nous avons déjà touché des centaines de milliers de participants dans 60 pays, formé un grand nombre d’animateurs, et vu que l’angle climat fonctionne pédagogiquement tout en ayant un véritable impact.


Stéphane La Branche (sociologue du climat) : 


Il y a plusieurs éléments. Dire que le sujet du climat “s’impose”, ça veut dire qu’il est imposé par le haut. Mais ce qui est vraiment intéressant, ce n’est pas qu’il s’impose, c’est qu’il soit approprié par les gens. Et tout le problème est là.


Jean Jouzel le répète souvent : cela fait quarante ans qu’on envoie le même message, mais les comportements ne changent pas. Peut-être que ce n’est pas le contenu qui pose problème, mais la manière de communiquer. Un message n’existe que s’il est entendu et interprété par la personne qui le reçoit.


Un premier constat, c’est que savoir ne suffit pas. Ce n’est pas parce que je connais la réalité du changement climatique que je me sens concerné. Pour que cela devienne réel, il faut que le message soit traduit dans la vie des gens. J’ai par exemple rencontré récemment des sénateurs devenus très préoccupés par le climat, car leurs régions avaient subi des inondations. Tant que cela restait abstrait, cela ne suscitait pas la même réaction.


Le problème, c’est cette distance cognitive : le climat est lointain, abstrait, alors qu’une mauvaise odeur ou une nuisance immédiate est perçue directement. Réduire cette distance est difficile, car cela demande de traduire un rapport du GIEC en conséquences concrètes pour chacun — une tâche immense que peu de gens sont prêts à accomplir, préférant des activités plus proches de leur quotidien. C’est ce qu’on peut appeler la “paresse du cerveau”.


Deuxième point : le climat ne signifie pas la même chose pour tout le monde.


  • Pour une entreprise, il est surtout question d’énergie.

  • Pour un agriculteur, ce sont les impacts directs.

  • Pour des populations du Sud, c’est une question de développement et de survie, aggravée par la pauvreté.


En communication, si l’on ne prend pas en compte cette diversité des perceptions et des réactions (indifférence, opposition, occultation), le message ne passe pas. Et à force d’images et de récits catastrophiques, on génère parfois de l’angoisse. Cette angoisse peut conduire soit à un éco-radicalisme, soit à du climatoscepticisme : dans bien des cas, le déni est une façon de gérer la peur et l’impuissance.


Enfin, un point clé : les sciences comportementales montrent que nos décisions ne sont rationnelles qu’en petite partie. La majorité de nos choix est guidée par l’émotion, le désir, l’imaginaire, le plaisir. Se limiter à un message scientifique et rationnel, même indiscutable, ne suffit pas. Face à un rapport, beaucoup préfèrent aller en week-end, acheter un nouveau téléphone ou partir en vacances.


L’enjeu, c’est donc de faire émerger ces contradictions à la fois chez les individus et dans les normes sociales collectives. Aujourd’hui, on vit encore avec des normes qui présentent comme des droits fondamentaux le fait d’avoir le dernier iPhone, de partir à Bali dix jours en été ou d’aller skier trois jours en hiver. C’est dans ces tensions que se joue la transition.


Une stratégie qui n’est plus suffisante. Nous devons changer d’optique.


Damien Cahen (Parlons Climat) : 


On parle beaucoup en ce moment de backlash écologique. La vraie question, c’est : existe-t-il vraiment un rejet de l’écologie dans l’opinion ? Et si oui, qu’est-ce que ça implique pour notre manière d’en parler ?


Ce que nous observons, ce n’est pas tant un backlash qu’un plateau. L’importance accordée au climat et à l’environnement tend à stagner. Dans le baromètre de l’ADEME, on voit que la note attribuée par les Français à l’environnement est stable depuis 2014. Cela signifie que la mise à l’agenda a fonctionné : le sujet est bien là, mais il n’avance plus. L’enjeu désormais, c’est de savoir comment faire progresser sa place dans le débat public.


Cela suppose de passer d’une stratégie de conviction (parler aux convaincus) à une stratégie de généralisation, qui s’intéresse à ce qu’il y a dans la tête des gens : leurs représentations, leurs priorités, leurs préoccupations.


Car l’environnement n’arrive qu’en quatrième position des priorités. Beaucoup de citoyens se sentent concernés par la crise climatique, mais sont encore plus préoccupés par des enjeux quotidiens : boucler les fins de mois, accéder à des soins de qualité, vivre en sécurité… Ignorer ces autres préoccupations, c’est prendre le risque d’accentuer la défiance envers le discours écologique et de renforcer un clivage.


Priorités des Français, Parlons Climat

Pour réussir, il faut donc raccrocher l’écologie aux aspirations concrètes des gens. Passer d’un discours prescriptif et restrictif — “trier ses déchets, arrêter de prendre l’avion, réduire l’usage de la voiture…” — à une vision où l’écologie est intégrée dans un tout cohérent : un projet de transformation sociale et d’horizon de vie désirable.


En d’autres termes, l’écologie ne doit pas être “l’alpha et l’oméga”, mais une partie d’un récit plus large, qui parle de conditions de vie idéales :


  • être en bonne santé demain,

  • vivre dans un monde où l’on dispose d’un pouvoir d’achat décent,

  • réduire les inégalités,

  • bénéficier de sécurité et de stabilité.


Cela suppose de penser de manière systémique, et surtout d’écouter les publics : leurs visions du monde, leurs divergences comme leurs convergences, leurs priorités réelles. C’est en connectant l’écologie aux co-bénéfices (santé, sécurité, pouvoir d’achat, lutte contre les inégalités) que l’on peut la rendre audible et désirable pour le plus grand nombre.


Pierre-Alix Lloret-Bavai (2tonnes) : 


C’est aussi une analyse que nous avons menée. Quand le mot backlash a commencé à monter dans le débat public, nous avons voulu comprendre ce qu’il recouvrait réellement. Le terme est discutable, mais ce que nous observons, c’est qu’au-delà de l’opinion publique, il existe effectivement des signaux de retour en arrière :


  • au niveau politique, certains reculs sont visibles,

  • au niveau des entreprises, l’enthousiasme autour de la RSE semble s’essouffler dans un certain nombre de cas.


Alors, pourquoi ce désengagement ? À notre sens, c’est parce que le monde a changé. Nous vivons dans une époque marquée par un nombre de problèmes beaucoup plus importants, anxiogènes et immédiats qu’il y a quelques années.


Quand l’actualité évoque la guerre, des bombardements aux portes de l’Europe, des menaces nucléaires, il paraît difficile de dire aux citoyens : “Non, le seul problème, c’est l’écologie”. Ils ont raison de craindre aussi ces autres menaces.


Cela nous a amenés à réfléchir plus en profondeur : quels sont aujourd’hui les grands problèmes structurants ?


Selon nous, nous sommes passés à un paradigme nouveau, caractérisé par trois grandes crises :


  1. La crise écologique

    Elle reste centrale : nous vivons la fin de l’abondance, avec des ressources limitées, des impacts environnementaux massifs et des conséquences sociales majeures.

  2. La fin de la stabilité, ou la polycrise

    Nous sommes confrontés à une accélération du nombre de crises — plus fréquentes, plus intenses, plus diverses. On ne sait jamais quelle sera la prochaine, et cela rend très difficile la définition d’une priorité commune. Cette instabilité permanente fragilise notre capacité collective à nous accorder sur “le problème numéro un”.

  3. La montée des tensions et des polarisations

    Nous l’observons dans la sphère politique, mais aussi en entreprise et dans la société au sens large. Les désaccords se durcissent, la culture du compromis s’effrite, et il devient de plus en plus difficile de travailler ensemble à des solutions partagées.


Si nous ne prenons pas en compte ces trois crises simultanément dans nos approches et nos messages, nous risquons de commettre une erreur. Se focaliser uniquement sur l’écologie, c’est ne pas entendre ceux qui disent : “Moi, ce qui me stresse le plus, c’est la fin de la stabilité” ou “Moi, c’est la guerre civile qui me semble à nos portes si on continue à nous tendre ainsi”.


Comprendre cette pluralité des peurs et des urgences est structurant pour la manière dont on doit parler du climat aujourd’hui.


Stéphane La Branche (sociologue du climat) : 


Parler climat, qu’est-ce que ça veut vraiment dire ?


D’abord, c’est une question de recherche et de perspective. Moi, je n’entre pas dans un sujet comme la famille, l’alimentation ou la mobilité en tant que tels. J’y entre par le filtre du climat. C’est ce cadre qui me permet de poser des questions : comment le climat touche-t-il la vie de famille, l’éducation des enfants, l’alimentation ? Ce filtre oriente l’analyse.


Ensuite, c’est une question d’échelle. Prenons l’exemple des politiques publiques de mobilité. Il y a vingt ans, tout projet de mobilité se faisait par défaut pour la voiture : réduire les bouchons, fluidifier la circulation. Quand la préoccupation climatique est entrée en jeu, certaines villes ont réagi de manière radicale : « on casse la voiture ».


Résultat : des erreurs ont été commises. Certaines personnes dépendent de leur voiture – comme le plombier ou l’habitant d’une zone rurale. D’autres y trouvent un usage plus personnel. Par exemple, j’ai rencontré quelqu’un qui m’expliquait aimer les embouteillages, car c’est le seul moment où il peut être seul, dans sa bulle. Pour lui, la voiture n’était donc pas seulement un moyen de transport, mais aussi un espace intime.


Aujourd’hui, la logique change. Dans les projets de quartiers ou de mobilité, on pense multimodalité, mobilités douces, mixité des fonctions (commerces, médecins, loisirs à proximité) pour réduire le besoin – réel ou perçu – de se déplacer.


Finalement, parler climat, ce n’est pas juste en parler. C’est penser climat. C’est adopter un filtre implicite : à chaque décision, se demander si elle est compatible avec le climat, et tendre vers une norme sociale et individuelle de “climato-compatibilité”.


Mais cela nous ramène aux représentations sociales. Prenons la biodiversité : on en parle beaucoup moins que le climat, et ce n’est pas seulement parce que les scientifiques de la biodiversité communiquent moins efficacement. C’est aussi une question de représentations.


  • Le panda : on a tous envie de le sauver, de lui faire un câlin, d’acheter une peluche pour nos enfants.

  • Le ver de terre : qui offre une peluche de ver de terre ? Personne. Et pourtant, scientifiquement, si on perd le panda ce n’est pas dramatique ; si on perd les vers de terre, c’est toute la chaîne de vie qui s’effondre.


Cela révèle le rôle énorme de nos représentations sociales. Et cela met aussi en lumière une différence d’imaginaire entre climat et biodiversité :


  • Ceux qui s’inquiètent du climat le font souvent à travers la peur d’une catastrophe, avec des images post-apocalyptiques.

  • Ceux qui s’inquiètent de la biodiversité sont motivés par l’émerveillement : la beauté, la fascination pour la complexité du vivant, l’amour de la nature.


Ces émotions d’origine différente impliquent qu’on ne peut pas communiquer de la même manière sur le climat et la biodiversité.


Audrey Guillon (Nos Gestes Climat) :


Nous nous appuyons sur trois leviers principaux pour changer d’optique et renforcer l’adhésion aux enjeux écologiques.


Le premier, c’est la pédagogie. Un simple discours sur les risques climatiques ou sur un résultat d’empreinte carbone ne suffit pas – ça ne l’a probablement jamais suffi. En tant que service public, nous avons la mission non seulement de sensibiliser le grand public aux ordres de grandeur, mais surtout de l’amener à passer à l’action. Avec des designers et chercheurs de l’ADEME, nous avons travaillé la pédagogie de Nos Gestes Climat.


En 10 minutes, il permet de sensibiliser des personnes parfois éloignées de ces sujets.

Beaucoup viennent par curiosité, juste pour « voir leur résultat », et se retrouvent finalement plongés dans une expérience qui leur fait découvrir concrètement l’impact de leur mode de vie. Tout au long du test, chaque réponse fait évoluer l’empreinte affichée en temps réel, sur cinq grands thèmes connus (transports, alimentation, logement, etc.). Cela permet de comprendre très concrètement l’impact d’un geste – par exemple, prendre son vélo plutôt que sa voiture.


empreinte Nos Gestes Climat

Deuxième levier : responsabiliser sans culpabiliser. À la fin du test, l’utilisateur reçoit des propositions d’écogestes adaptés à son profil, classés par ordre d’impact. L’idée est qu’il reparte avec une ou plusieurs actions concrètes, qu’il choisit librement d’adopter ou non. Nous ne parlons pas uniquement de climat et de carbone, car ces angles peuvent sembler abstraits ou trop techniques. Nous mettons aussi en avant les co-bénéfices du passage à l’action :


  • pour la santé (par exemple, une alimentation durable),

  • pour le confort (isoler son logement),

  • pour le portefeuille (réparer plutôt que racheter).Ce sont des évidences, mais les rappeler est très efficace, et cela nous aide à toucher des publics éloignés des enjeux climatiques.


Troisième levier : le collectif. C’est probablement celui en lequel je crois le plus. L’approche individuelle peut être décourageante – viser 2 tonnes de CO₂/an, en ligne avec les Accords de Paris, paraît quasiment impossible à atteindre seul. Mais replacer cette ambition à l’échelle collective change tout.


C’est pourquoi nous avons développé un mode « collectif » : plus de 3 200 organisations (entreprises, écoles, institutions…) l’utilisent déjà. Chaque participant mesure son empreinte, mais peut aussi la comparer à celle du groupe. Par exemple, une entreprise obtient une empreinte moyenne de ses collaborateurs, et chacun peut se situer par rapport aux autres. Cela crée une émulation positive, un challenge collectif qui renforce l’envie d’agir.


Le concret : sortir de nos bulles, notamment en entreprise.


Stéphane La Branche (sociologue du climat) : 


Pourquoi les gens ne s’engagent pas dans l’entreprise ? Pour moi, il y a plusieurs raisons.


 1. Une vision limitée de l’entreprise.


Spontanément, si je demande « à quoi sert une entreprise ? », beaucoup répondront : « à faire de l'argent». C’est une cognition implicite, très ancrée, renforcée par notre système capitaliste et consumériste. Mais une entreprise peut être bien plus que cela :


  • elle peut contribuer à son territoire,

  • s’engager pour la biodiversité,

  • devenir un lieu d’expérimentation sociale (ex. jardins partagés, nouvelles formes de gouvernance).


Et cela existe déjà, même si ce n’est pas suffisamment mis en avant.


 2. Sortir du modèle de l’homo economicus.


On a longtemps pensé que l’humain décidait uniquement en maximisant ses profits et en minimisant ses efforts. Mais ce n’est pas vrai.


Nous agissons aussi pour d’autres raisons : le confort, la fatigue, le plaisir, l’adrénaline de tenter quelque chose de nouveau, le fait d’avoir des enfants, etc.


Bref, beaucoup de critères essentiels à nos décisions ne sont pas monétisables. Si on accepte de sortir de la grille homo economicus, on ouvre la porte à d’autres formes d’engagement.


 3. Vers l’homo biosphericus.


On voit émerger des personnes pour qui la relation à l’environnement est centrale, d'un point de vue émotionnel et existentiel. (Se ressourcer en montagne, reconnaître la valeur des sols et des vers de terre, prendre soin de ce qui permet la vie.)


Ces comportements traduisent une conscience que l’humain fait partie de la biodiversité. Nous en venons, nous en dépendons — mais nous sommes aussi la seule espèce capable de la détruire.


 4. Un nouveau statut à assumer.


Cela nous place dans une position spécifique :


  • Nous devons reconnaître notre appartenance au vivant,

  • mais aussi notre responsabilité particulière, puisque nos actions menacent la biosphère.


C’est pourquoi il devient nécessaire de développer une conscience sociale et biosphérique : voir l’humain non pas comme « le problème », mais comme un acteur capable de planifier et de réorienter son impact.


 5. Sortir des clichés.


Cette vision biosphérique existe déjà dans nos sociétés.


Elle n’est pas réservée à une poignée de marginaux ou d’utopistes. Des chercheurs de haut niveau la défendent, et des personnes ordinaires la vivent au quotidien. L’enjeu, c’est de la rendre visible, de la valoriser, et de montrer qu’elle peut inspirer une nouvelle manière d’agir, en entreprise comme ailleurs.


Damien Cahen (Parlons Climat) : 


Quand on cherche à parler des enjeux de transition, il est crucial de comprendre ce qui se passe dans la tête des gens à qui l’on s’adresse. Pour cela, nous utilisons un outil développé par un think tank avec lequel nous travaillons régulièrement, appelé Destin Commun.


Cet outil identifie six grandes familles de valeurs dans la population française, regroupées selon leurs priorités, leur vision du monde et l’importance qu’ils accordent aux enjeux environnementaux.


Cette approche permet de dépasser l’effet de blocage ou le « backlash » : elle nous aide à adapter notre communication selon les profils, y compris ceux qui sont un peu plus climatosceptiques.


Graph Destin Commun

Elle nous amène également à reconnaître la diversité des voix : il existe une multiplicité de publics, et donc une multiplicité de messagers pour parler des enjeux climatiques.


Cela soulève des questions essentielles sur les conditions du changement et nous rappelle que la transition écologique doit être un mouvement collectif, et pas seulement limité à des gestes individuels, qui peuvent parfois rebuter certains.


Enfin, cette approche élargit le spectre à une transformation sociale plus profonde. Elle nous invite à accepter que l’écologie ne peut pas être le seul sujet : il faut la relier à d’autres thématiques pour mobiliser les différents profils identifiés avec Destin Commun et les mettre en mouvement. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour la communication et l’action.


Pierre-Alix Lloret-Bavai (2tonnes) :


Pour enchaîner sur la manière d’embarquer en entreprise, je veux revenir sur ce que nous avons évoqué : il y a plus que l’écologie comme problème. La polycrise a des conséquences négatives mais aussi des opportunités. L’instabilité mondiale impacte notamment les entreprises, et si l’on adopte une vision systémique, on peut relier les problèmes d’approvisionnement, les crises géopolitiques et la crise écologique.


Pour nous, il existe un objectif encore plus fédérateur que de parler uniquement de transition écologique en entreprise : parler de robustesse. Olivier Hamant a développé un cadre indispensable sur la capacité d’une organisation à rester stable et viable malgré les fluctuations et l'incertitude ambiante.


C’est une super perspective, car les leviers de robustesse sont souvent les mêmes que ceux de la transition écologique :


  • relocaliser,

  • pratiquer l’économie circulaire,

  • revoir les relations avec les fournisseurs,

  • travailler avec le territoire,

  • repenser le management.


Ces leviers permettent à la fois de rester viable à court terme, d’augmenter la résilience à long terme et d’être plus responsable. Donc si l’on présente nos solutions RSE comme des solutions de robustesse, on peut embarquer beaucoup plus de monde.


Le collectif joue un rôle essentiel : il ne s’agit pas de « bourrer le crâne » des collaborateurs, mais de leur permettre de comprendre le monde, de faire le lien entre les sujets écologiques et non écologiques, et de travailler ensemble sur des compromis. Si chacun reste dans son silo ou dans ses postures, rien n’avance. La base, c’est la capacité à travailler ensemble.


Avec cette approche, on ne cherche plus à créer des « écologistes » : on cherche à embarquer tout le monde sur les sujets qui les touchent, et la robustesse est un excellent levier pour ça.

Nous introduisons également un concept clé : la juste exigence. Dans les entreprises, il y a toujours des polarisations : certains disent « ma boîte ne fait rien, c’est n’importe quoi », d’autres disent « elle fait trop, c’est un scandale ».


La juste exigence consiste à accepter que la boîte ne sera pas parfaite immédiatement, tout en envoyant un signal fort pour agir. Ce curseur intermédiaire permet de créer un consensus et d’engager des actions concrètes, sans tomber dans le noir ou le blanc.


Concrètement, chez 2tonnes, nous avons développé de nouveaux ateliers pour s’adapter aux différents publics :


L’objectif de tous ces ateliers est de générer cette juste exigence et d’embarquer le maximum de collaborateurs dans le mouvement. 



Audrey Guillon (Nos Gestes Climat) : 


De notre côté, on travaille beaucoup avec les entreprises qui diffusent Nos Gestes Climat auprès de leurs collaborateurs. Nous sommes tous assez convaincus que l’entreprise a un rôle à jouer dans la réduction de l’empreinte individuelle, notamment sur les trajets domicile-travail ou l’offre alimentaire à la cantine.


Les entreprises intéressées travaillent déjà sur ces leviers, mais elles veulent souvent aller plus loin en sensibilisant leurs collaborateurs à l’impact de leur mode de vie sur le climat.


Depuis bientôt trois ans, nous déployons donc Nos Gestes Climat au sein d’entreprises, d’institutions, etc. Ce que nous avons constaté, c’est que le sujet carbone suscite parfois moins d’intérêt, alors nous avons intégré récemment l’empreinte eau, qui est très peu connue du grand public.


Pour donner un ordre de grandeur : chaque jour, un Français consomme en moyenne entre 4 000 et 9 000 litres d’eau pour ses achats (hors consommation domestique). Par exemple, l’achat d’un jean représente entre 3 500 et 7 000 litres d’eau. Nous avons donc intégré cette empreinte eau dans le parcours utilisateur, en parallèle de l’empreinte carbone. À l’issue du test, l’utilisateur peut visualiser ces deux empreintes et choisir des gestes pour passer à l’action. Ce nouveau prisme a été un véritable levier d’intérêt pour les organisations et pour les collaborateurs, qui découvrent ainsi une information nouvelle et concrète.


Au-delà de ces sujets, nous utilisons également la gamification, ce qui est très important pour favoriser l’adhésion aux enjeux écologiques. Par exemple, le mode collectif est souvent utilisé sous forme de concours. Il y a des gains à la clé, toujours vertueux, et surtout la logique est simple : « on y va ensemble, on se challenge ensemble ». Cela fonctionne très bien. Certaines entreprises fixent par exemple une limite, comme « atteindre 500 collaborateurs sensibilisés », et l’outil permet de suivre en direct le curseur qui progresse.


En résumé, pour toucher de nouvelles personnes, il est essentiel d’aller chercher des angles différents du prisme climat-carbone, y compris des leviers plus anciens comme le jeu, qui fonctionnent toujours très bien.



Pour nous, c’est très important : nous sommes dans le même écosystème, avec la même mission. Cela facilite l’expérience utilisateur et constitue une réelle opportunité pour aller plus loin ensemble et toucher un public plus large.


Pour aller plus loin


Pour creuser les notions du donut et de l’économie régénérative, nous vous mettons à disposition ce kit de ressources utiles !


Nous vous invitions également à visionner le replay du webinaire !




 
 
 
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