Comment la polycrise affecte les entreprises en 2025
- Fiona Kornalewski

- 15 déc.
- 7 min de lecture
La polycrise n'est plus un concept abstrait pour les dirigeant(e)s d'entreprise. C'est une réalité quotidienne qui bouleverse les fondamentaux de la gestion, de la stratégie et même de la survie économique.
Entre instabilité géopolitique, dérèglement climatique, tensions sociales et ruptures technologiques, les entreprises naviguent dans un brouillard permanent où les certitudes d'hier ne valent plus rien.
Cet article dresse un état des lieux concret des vulnérabilités auxquelles font face les organisations en 2025.
Instabilité stratégique permanente
L'époque des plans stratégiques sur cinq ans est révolue. Les entreprises font face à une impossibilité chronique de projection, rendant obsolète toute planification à moyen terme.
Manifestations concrètes :
Impossibilité de projections fiables à 3-5 ans
Budgets révisés tous les trimestres, parfois tous les semestres
Investissements gelés ou reportés indéfiniment
Plans stratégiques périmés avant même leur déploiement complet
Un directeur financier d'une PME industrielle témoigne : "On refait notre budget tous les 6 mois. Les hypothèses de janvier ne tiennent jamais jusqu'en juin." Un autre dirigeant d'une entreprise de services confie : "Notre plan stratégique 2020-2025 a été enterré après 18 mois. Il ne correspondait déjà plus à rien."
Cette instabilité provoque une paralysie décisionnelle généralisée. Les entreprises sont contraintes à un court-termisme forcé, perdant toute vision long terme. L'épuisement des équipes dirigeantes s'installe, prises entre l'urgence permanente et l'impossibilité de construire un cap clair.

Ruptures de chaînes de valeur
Les trois dernières années ont vu se multiplier des chocs d'approvisionnement d'une ampleur inédite.
Les chocs récents qui ont marqué les esprits :
Le blocage du canal de Suez par l'Ever Given : 400 millions de dollars de pertes par heure
Pénuries de puces électroniques (2021-2023) paralysant l'industrie automobile et électronique
Crise du gaz russe bouleversant les coûts énergétiques européens
Explosion du coût des conteneurs maritimes
Pénuries improbables : moutarde, certains médicaments essentiels...
Le modèle du juste-à-temps, longtemps vanté pour son efficacité, révèle sa fragilité : plus de stocks tampons signifie zéro marge d'erreur. La concentration géographique et les monocanaux d'approvisionnement transforment chaque incident local en crise globale.
Au-delà des pertes de chiffre d'affaires immédiates, certains clients sont perdus définitivement. Les coûts de réorganisation explosent. Une prime de risque doit désormais être intégrée aux prix, fragilisant la compétitivité.
3. Crise du recrutement et des talents
La grande démission et le quiet quitting ne sont pas des modes passagères, mais des symptômes d'une transformation profonde.
Les salariés questionnent le sens de leur travail face aux crises multiples et au sentiment de contribuer parfois à les aggraver. L'épuisement généré par un rythme devenu insoutenable pousse à la démission. La quête de robustesse individuelle (télétravail, équilibre vie professionnelle/personnelle) devient prioritaire. La défiance envers les entreprises grandit, tout comme les attentes sociétales fortes en matière de RSE et d'impact positif.
De fait, des compétences critiques manquent cruellement. Les équipes en place subissent une surcharge insupportable. Les coûts de recrutement explosent tandis que des savoir-faire précieux se perdent définitivement.
Volatilité des coûts et pression sur les marges
Entre 2022 et 2025, les entreprises ont vécu des montagnes russes financières.
Exemples concrets de variations :
Matières premières : fluctuations de ± 30 à 50%
Transport maritime : multiplication par 3 à 10 pour les conteneurs
Salaires : pression inflationniste continue
Répercuter les hausses sur les prix, c'est risquer de perdre des client(e)s dans un contexte de pouvoir d'achat tendu. Absorber ces hausses, c'est détruire la rentabilité et menacer la pérennité. Optimiser encore plus pour compenser, c'est se fragiliser davantage en réduisant les marges de manœuvre.
L'industrie manufacturière, le BTP, la restauration et l'hôtellerie, le commerce de détail, ainsi que le transport et la logistique sont en première ligne de cette volatilité dévastatrice.
Pressions réglementaires accrues
Les entreprises doivent faire face à des obligations réglementaires renforcées précisément au moment où leurs moyens diminuent et où les urgences opérationnelles s'accumulent. Un dirigeant résume : "Comment faire de la RSE quand on se bat pour survivre ?"
Face à cette pression, certaines entreprises basculent dans la conformité superficielle (greenwashing), d'autres dans le rejet pur et simple. Les pénalités, litiges et pertes de crédibilité guettent.
Défiance généralisée des parties prenantes
La confiance, ce capital immatériel essentiel, s'effrite de toutes parts.
Vis-à-vis des client(e)s : Méfiance croissante sur les promesses marketing, hyper-vigilance sur les pratiques réelles, pression simultanée sur les prix ET l'éthique, montée de la cancel culture et des boycotts.
Vis-à-vis des salarié(e)s : Défiance envers les directions, scepticisme sur les stratégies annoncées. "Pourquoi faire des efforts si ça ne sert à rien ?" devient un refrain démobilisateur.
Vis-à-vis des investisseurs : Ils maintiennent l'exigence de résultats court-terme tout en ajoutant une pression ESG croissante, créant des contradictions ingérables pour les dirigeants.
Vis-à-vis du public : : la suspicion systématique rend la communication externe de plus en plus difficile.
Ce triangle de l'inaction (défiance + sentiment d'impuissance + injustice perçue) paralyse les initiatives et nourrit le cynisme généralisé.
Concurrence déloyale et distorsions
Dans un contexte de crise, certaines pratiques déloyales se développent : dumping social et environnemental, contournement des réglementations, opacité des chaînes de valeur, course au moins-disant.
Une entreprise qui paie le juste prix, privilégie le local et l'éthique supporte des coûts supérieurs. Elle se retrouve en concurrence avec des acteurs qui ne respectent rien et gagnent en compétitivité. "Les bons perdent, les mauvais gagnent" devient une réalité amère.
Si on est les seuls à faire des efforts..." : ce raisonnement provoque un backlash interne sur les engagements pris et un retour à la recherche de la performance pure, abandonnant les ambitions sociétales.
Impacts psychosociaux
La dimension humaine de la polycrise est probablement la plus préoccupante.
Chez les dirigeant(e)s : Charge mentale extrême, solitude décisionnelle, doutes permanents, culpabilité face aux décisions difficiles (licenciements, compromis éthiques...).
Chez les collaborateurs et collaboratrices : Anxiété climatique et d'avenir, épuisement émotionnel, désengagement comme mécanisme de protection, explosion des burnouts.
Au niveau collectif : Perte de cohésion d'équipe, tensions interpersonnelles accrues, renforcement des silos (chacun se protège), climat général délétère.
Le coût de l'inaction : exemples chiffrés
Des cas réels (anonymisés) illustrent concrètement ce que coûte la vulnérabilité.
Entreprise A (Industrie, 500 personnes) : Totalement dépendante d'un fournisseur chinois unique. Rupture d'approvisionnement en 2022 : trois mois d'arrêt complet. Bilan : 15 millions d'euros de pertes et 50 clients définitivement perdus.
Entreprise B (Services, 200 personnes) : Turnover passé de 10% à 35% en deux ans. Coût de remplacement et formation : 800 000 euros par an. Perte de qualité perçue par les clients et détérioration de l'image.
Entreprise C (Agroalimentaire, 1000 personnes) : Crise énergétique 2022 : coûts multipliés par trois. Impossibilité de répercuter sur les prix face à la grande distribution. Résultat net : moins 8 millions d'euros, conduisant à des licenciements douloureux.
Entreprise D (BTP, 50 personnes) : Inflation des matériaux rendant plusieurs marchés déficitaires. Trois chantiers stoppés. Dépôt de bilan évité de justesse grâce à un prêt garanti.
Les secteurs les plus vulnérables face à la polycrise
Très haute vulnérabilité :
Industrie manufacturière (dépendances multiples aux chaînes mondiales)
BTP (volatilité extrême des matériaux + pénurie de main d'œuvre)
Transport et logistique (explosion des coûts, réglementations contraignantes)
Agriculture intensive (dérèglement climatique, coût des intrants, volatilité des prix)
Haute vulnérabilité :
Commerce de détail (érosion du pouvoir d'achat, concurrence en ligne)
Restauration (coûts, difficulté de recrutement)
Tourisme (instabilité géopolitique, impacts climatiques)
Services aux entreprises (effet domino des difficultés clients)
Vulnérabilité modérée mais croissante :
Tech (bulles spéculatives, nouvelles réglementations, tensions géopolitiques)
Santé (tensions systémiques sur les ressources)
Éducation (crise de sens et de moyens)
Finance (risques systémiques interconnectés)
Les signaux d'alerte à surveiller
Votre principal fournisseur représente plus de 30% de vos achats
Vos approvisionnements critiques viennent de plus de 5000 km
Vous n'avez pas de stocks tampons (moins d'un mois)
Votre turnover a augmenté de plus de 20% en deux ans
Vous avez eu plus de deux ruptures d'approvisionnement en deux ans
Vos coûts ont augmenté de plus de 30% sans pouvoir les répercuter
Vous n'avez jamais fait de stress test sur vos vulnérabilités
Vous avez une seule activité ou un seul type de client
Votre stratégie date de plus de 18 mois et n'a pas été revue
Vous sentez une démobilisation généralisée des équipes
12. Ce qui NE fonctionne PAS
Certaines réactions, bien qu'intuitives, aggravent la situation.
Sur-optimiser pour compenser
Exemple : réduire encore les stocks pour économiser.
Effet : fragilisation accrue à la moindre perturbation.
Miser tout sur la tech ou l'IA
Exemple : "L'IA va tout résoudre."
Effet : création de nouvelles dépendances technologiques et effet rebond sur la consommation de ressources.
Stratégie de l'autruche
Exemple : "On attend que ça passe."
Effet : l'entreprise se fait balayer à la prochaine vague de chocs.
Hyper-contrôle et rigidification
Exemple : multiplier les procédures et contrôles.
Effet : paralysie organisationnelle et perte d'agilité.
Culpabilisation des équipes
Exemple : "Il faut faire plus avec moins."
Effet : burnout généralisé et départs des meilleurs éléments.
L'urgence de la robustesse
La polycrise n'épargne aucune entreprise. Paradoxalement, les plus performantes et les plus optimisées selon les critères traditionnels sont souvent les plus fragiles face aux chocs multiples et imprévisibles.
La bonne nouvelle : des solutions existent. Il s'agit de retrouver des marges de manœuvre, de diversifier les dépendances, de reconnecter l'entreprise à son territoire, de redonner du sens aux équipes.
Trois priorités immédiates pour 2025 :
Réaliser un stress test complet de votre organisation pour identifier précisément vos vulnérabilités
Identifier et éliminer vos dépendances critiques les plus dangereuses (fournisseurs uniques, géographies à risque, compétences rares...)
Lancer une première action concrète de robustesse : diversification d'approvisionnements, ancrage territorial, refonte de gouvernance...
La robustesse n'est pas un luxe réservé aux périodes fastes. C'est la condition de survie en période de polycrise. Les entreprises qui l'auront compris dès 2025 seront celles qui traverseront les tempêtes à venir.
Chez 2tonnes, face à ces nouveaux défis, nous avons crée l'atelier Convergences.
L'objectif de ce format : dépasser les oppositions entre responsabilité, perennité et rentabilité, tout en comprenant les leviers phares de la robustesse en entreprise.




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